Gilles Clément : purin d'ortie et résistance
Quand Gilles Clément touche les orties, elles ne le piquent pas. Dans le jardin qu'il leur a consacré à Melle, il les effleure presque tendrement, sous la feuille. Ce qui lui donnerait de l'urticaire, en revanche, c'est la menace juridique qui pèse sur cette plante aux vertus pourtant ancestrales.
"On les utilise en cuisine et surtout dans le jardin. Le purin d'ortie prévient, renforce l'immunité des plantes. Une vieille technique de jardinier, plaide Gilles Clément. Mais en janvier 2006, au moment ou je travaillais sur la biennale d'art contemporain 2007 de Melle - le jardin des orties était l'une de ses œuvres présentée - est passée une loi d'orientation agricole qui veut supprimer l'usage des produits dits non homologués".
L'ortie est du lot. "c'était énorme! Une loi destinée à protéger les lobbies qui vendent des purins d'ortie sous forme diluée ou en poudre. Plus le droit d'en céder, d'en parler, d'en faire la promotion. La loi prévoit 25 000 € d'amende." Fin 2006 un amendement rétablit l'usage du purin d'ortie, mais le décret d'application reste aux oubliettes.
Le jardinier ne décolère pas contre "cette loi inique, de confiscation du bien commun, de marchandisation de la nature". Alors, dès l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, dont il conteste les positions sur l'environnement, Gilles Clément renonce à tous ses contrats avec l'Etat. Le paysagiste de réputation internationale, ausxréalisations parisiennes prestigieuses comme le parc André-Citroën, les jardins du quai Branly et de l'Arche, à la Défense, ne cautionnera pas un projet qui "nous engage tous dans la mécanique de destruction de la planète". Le Grenelle de l'environnement na l'a pas réconcilié. "Une énorme supercherie" qui ne règle rien quant au principal facteur du désordre écologique, "le jeu boursier", une "arme de destruction massive".
Gilles Clément se sent aujourd'hui "acculé à un devoir de réflexion et de politique". Le jardin des orties sera donc son premier "jardin de résistance". Au milieu, trône un pressoir, tel une sculpture de métal insolente, dont le paysagiste est très fier. On y filtre le purin d'ortie, fabriqué par les services des espaces verts de la ville. Des dizaines de litres à chaque fois. "Il est distribé gratuitement, tous les vendredis". "Résistance" : Gilles Clément assume le terme, pourtant hautement connoté.
Tiré d'un article paru dans Ouest-France, le 29juillet 2009