Balzac et la petite tailleuse chinoise - DAI SIJIE
1971, la Chine des années Mao, en pleine révolution culturelle.
Deux jeunes de 18 ans, coupables d'être les fils, l'un d'un pneumologue, l'autre d'un dentiste, tous les deux catalogués de bourgeois réactionnaires, donc ennemis du peuples, sont condamnés à résidence forcée, en "rééducation" dans la montagne perdue du Sichuan à la frontière du Tibet.
Leur avenir s'annonce plutôt sombre :
"Normalement, un jeune issu d'une famille normale, ouvrière ou intellectuelle révolutionnaire, qui ne faisait pas de bêtise, avait, selon les journaux officiels du Parti, cent pour cent de chance de finir sa rééducation en deux ans, avant de retourner en ville retrouver sa famille. Mais pour les enfants des familles cataloguées "ennemis du peuple", l'opportunité du retour était minuscule : trois pour mille. Mathématiquement parlant, Luo et moi étions "foutus". Nous restait la perspective réjouissante de devenir vieux et chauves, de mourir et de finir enveloppés du linceul blanc local, dans la maison sur pilotis. Il y avait vraiment de quoi se sentit déprimé, torturé, incapable de fermer les yeux."
Mais Luo a des talents de conteur et son copain, le narrateur joue du violon.
Le chef du village les envoie régulièrement dans la vallée assister à des séances de cinéma afin qu'à leur retour ils puissent raconter le fim entier aux villageois.
Lors de ces escapades ils rencontrent la fille d'un tailleur renommé. Luo tombe amoureux de "la petite tailleuse chinoise", sensible et perdue au milieu de cette population rustre et inculte.
Mais c'est une autre rencontre qui va changer leur vie, celle de "Binoclard", un jeune "rééduqué" comme eux, fils d'une poétesse. Il leur confie un jour une traduction de Balzac, qu'il cache dans une mallette, avec d'autres livres interdits.
La lecture est un choc pour les deux amis. Luo en fait profiter la petite tailleuse et ils n'auront désormais qu'une idée en tête : dérober la malette du pingre et balourd Binoclard.
« Nous nous approchâmes de la valise. Elle était ficelée par une grosse corde de paille tressée, nouée en croix. Nous la débarrassâmes de ses liens, et l'ouvrîmes silencieusement. À l'intérieur, des piles de livres s'illuminèrent sous notre torche électrique ; les grands écrivains occidentaux nous accueillirent à bras ouverts : à leur tête, se tenait notre vieil ami Balzac, avec cinq ou six romans, suivi de Victor Hugo, Stendhal, Dumas, Flaubert, Baudelaire, Romain Rolland, Rousseau, Tolstoï, Gogol, Dostoïevski, et quelques Anglais : Dickens, Kipling, Emily Brontë... Quel éblouissement ! J'avais l'impression de m'évanouir dans les brumes de l'ivresse. Je sortis les romans un par un de la valise, contemplai les portraits des auteurs, et les passai à Luo. De les toucher du boût des doigts, il me semblait que mes mains, devenues pales, étaient en contact avec des vies humaines...
Il referma la valise et, posant une main dessus, comme un chrétien prêtant serment, il me déclara :
- Avec ces livres, je vais transformer la Petite Tailleuse. Elle ne sera plus jamais une simple montagnarde. »
C'est une belle histoire sur le pouvoir de la littérature, comme ouverture sur le monde, sur ses capacités à transformer les êtres.
Elle nous plonge au sein de l'obscurantisme des campagnes chinoises, sous l'influence de la propagande communiste et
de sa révolution qui n'avait vraiment rien de culturelle.