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le chemin de Philarmor
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27 octobre 2009

Les intermittences de la mort

sara_intermit"Le lendemain, personne ne mourut."

C'est ainsi que débute "les intermittences de la mort" livre de José SARAMAGO, facétieux écrivain portugais de 87 ans, prix Nobel de littérature en 1998.

Dans un pays imaginaire, la mort décide un jour d'arrêter de travailler, semant la panique pendant 6 mois auprès de toute la population, obligée à conserver tous ceux qui devaient trépasser pour des raisons diverses, vieillesse, accidents, maladie.

L'État est désorganisé, les hôpitaux engorgés, les entreprises de pompe funèbre en faillite et l'Église, perdant ainsi "le soubassement, la poutre maitresse, la pierre angulaire, la clef de voute de la religion" connait une crise sans précédent. Une "Maphia" (texto) se met vite en place et organise des trafics pour faire mourir les gens de l'autre côté de la frontières, les autre pays n'étant pas touchés.

Et puis, la mort décide de reprendre du service et invente un nouveau protocole, chaque prétendant à la mort reçoit, une semaine avant la date fatale, une lettre violette dans une enveloppe de la même couleur, lui annonçant la nouvelle et l'invitant à profiter au mieux des quelques jours qui lui restent.

Mais un jour, la mort tombe sur un os! une lettre lui est retournée.

"Une liste de deux cent quatre-vingt-dix-huit noms se trouve sur la table, chiffre un peu inférieur à la moyenne habituelle, cent cinquante deux hommes et cent quarante six femmes, un nombre égal d'enveloppes et de feuilles de papier de couleur violette destinées à la prochaine opération postale,  ou décès-par-courrier.

La mort ajouta à la liste le nom de la personne à qui la lettre retournée était destinée, elle souligna les mots et posa le stylo sur le porte-plume. Si elle était dotée de nerfs, nous pourrions dire qu'elle était légèrement excitée, et cela non sans raison. Elle avait trop vécu pour considérer le retour de la lettre comme un incident dépourvu d'importance. On comprendra aisément, un peu d'imagination suffira, le poste de travail de la mort est sans doute un des plus monotone parmi tous ceux qui ont été créés depuis que caïn a occis abel par la faute exclusive de dieu. Après un épisode aussi affligeant, qui démontra dès le commencement du monde combien il est difficile de vivre en famille, et cela n'a pas changé depuis, la chose s'était sans cesse répétée pendant des siècles, des siècles et encore des siècles, sans relâche, sans interruption, sans solution de continuité, différente dans les multiples modalités du passage de la vie à la non-vie, mais au fond toujours égale dans la mesure où le résultat, lui aussi, était toujours semblable.ankou

En vérité, jamais on ne vit que quelqu'un qui devait mourir ne mourut point. Et maintenant, de façon insolite, un avis signé par la mort de sa propre main, un avis annonçant la faim irrévocable et impossible à proroger d'une personne était revenu dans cette pièce froide où l'auteure et signataire de la lettre, enveloppée dans le linceul mélancolique qui est son uniforme historique, capuchon rabattu sur la tête, médite sur l'évènement tandis que les os de ses doigts ou ses doigts en os tambourinent sur la table. Elle se surprend à désirer que la lettre envoyée à nouveau lui revienne encore une fois, que l'enveloppe comporte par exemple l'indication Parti pour un lieu inconnu, car assurément ce serait une surprise absolue pour celle qui a toujours réussi à savoir où nous nous cachions, au cas où nous penserions pouvoir lui échapper de cette façon enfantine. Cependant, elle ne crois pas que l'absence supposée sera consignée au verso de l'enveloppe, ici les archives sont mises à jour automatiquement à chaque geste, à chaque mouvement, à chaque pas que nous faisons, changement de domicile, d'état, de profession, de mœurs et de coutume, si nous fumons ou non, si nous mangeons beaucoup ou peu, ou pas du tout, si nous sommes actifs ou indolents, si nous avons la migraine ou des aigreurs d'estomac, si nous souffrons de constipation ou de diarrhée, si nous perdons nos cheveux ou si nous attrapons un cancer, si oui, si non, si peut-être, il suffira d'ouvrir le grand tiroir du fichier alphabétique, de chercher la fiche appropriée, et tout y sera consigné. Et ne nous étonnons donc pas si à l'instant même ou nous lirons notre feuille de route particulière, le choc d'angoisse qui nous a pétrifiés s'y trouve instantanément enregistré. La mort sait tout de nous et c'est peut-être la raison de sa tristesse.

S'il est vrai qu'elle ne sourit jamais, c'est uniquement parce qu'elle n'a pas de lèvres, or cette leçon d'anatomie nous dit que, contrairement à ce que croient les vivants, le sourire n'est pas seulement une question de dents. D'aucuns prétendent, avec un humour moins macabre que de mauvais gout, qu'une sorte de sourire permanent est vissé sur sa face, mais ce n'est pas vrai, elle affiche un rictus de souffrance, car le souvenir du temps où elle avait une bouche, et la bouche une langue, est la langue de la salive, la poursuit constamment. Avec un bref soupir, elle attira à elle une feuille de papier et se mit à écrire la première lettre du jour, Chère Madame, je regrette de vous avertir que votre vie prendra fin dans le délai irrévocable et impossible à proroger d'une semaine, je souhaite que vous profitiez du mieux que vous pourrez du temps qui vous reste, votre servante dévouée, mort.

Deux cent quatre-vingt-dix-huit feuillets, deux cent quatre-vingt-dix-huit enveloppes, deux cent quatre-vingt-dix-huit noms diffusés sur la liste, on ne peut pas dire que ce genre de travail soit tuant, mes la vérité c'est que la mort arriva épuisée au bout de sa tâche. D'un geste de la main droite que nous lui connaissons déjà, elle fit disparaitre les deux cent quatre-vingt-dix-huit lettres, puis, croisant ses bras maigres sur la table elle laissa tomber sa tête sur eux, non pas pour dormir, car la mort ne dort pas, mais pour se reposer."

Quand, une demi-heure plus tard, remise de sa fatigue, elle la releva, la lettre envoyée à l'expéditeur et réexpédiée une nouvelle fois était de retour, devant ses orbites stupéfaites et vides."

José SARAMAGO, avec son style qui lui est propre - il est fâché avec la ponctuation, les majuscules des noms propres - livre un conte désopilant sur la condition humaine et les pouvoirs quels qu'ils soient (Etat, religion).


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Commentaires
P
Hello Mouton<br /> suis de retour.<br /> Mon job m'a pris mon temps!<br /> je repasse te voir bientôt<br /> Amitiés<br /> Philippe
M
t'es en vacances?
P
je ne dévoilerai rien!<br /> A bientôt
N
ça me semble intéressant ! l'extrait que tu as choisi donne vraiment envie de connaître la suite !<br /> Bonne soirée, à bientôt
P
Oui Pierre, j'ai savouré ce livre même si, par moment, l'absence de paragraphes et la ponctuation minimaliste oblige à une attention plus soutenue.<br /> Son dernier livre, "le voyage de l'éléphant" a l'air aussi délirant. Offert par le roi Dom João III du Portugal à l’archiduc de Vienne cet éléphant traversa toute l’Europe en 1555, avant qu’on ne lui coupe les pattes pour en faire des porte-parapluies!
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